Discours de S.E.M. Abdoulaye DIOP, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale à l’occasion de l’examen par le Conseil de sécurité du rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation au Mali
New York, le 13 juin 2022
Monsieur le Président ;
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité ;
Je commence par exprimer la gratitude du Gouvernement et du peuple du Mali à l’endroit de l’Organisation des Nations Unies pour les efforts et, souvent, les sacrifices consentis pour le retour de la paix et de la stabilité au Mali.
Je remercie également mon frère, Monsieur El-Ghassim WANE, Chef de la MINUSMA, pour la présentation du rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali.
Je voudrais d’emblée souligner avec force que le Mali, pays en guerre contre le terrorisme et l’insécurité, continue de faire face à une crise multidimensionnelle consécutive à l’intervention en Libye qui lui a fait perdre les deux tiers de son territoire. Malgré le soutien international apporté depuis 2013, la situation sécuritaire n’a fait qu’empirer. L’insécurité qui était localisée dans le Nord du pays s’est répandue au Centre avant de se propager sur tout le territoire et atteindre les pays voisins et même certains pays côtiers. C’est dire que les résultats atteints n’ont pas été à la hauteur des attentes des populations maliennes et de la région. Pour inverser cette tendance, le Peuple malien a décidé de prendre son destin en mains et de jouer pleinement sa partition. Dans cette perspective, le Gouvernement du Mali a développé des stratégies et consenti des sacrifices énormes en investissant massivement dans son appareil de défense et de sécurité. Cet investissement a permis une montée en puissance des forces armées maliennes, qui enregistrent des résultats remarquables sur le terrain.
Monsieur le Président ;
J’ai écouté attentivement vos observations et, je voudrais, à présent, répondre, au nom du Gouvernement du Mali, au rapport du Secrétaire général et à vos commentaires.
Plusieurs membres du Conseil de sécurité ont souligné la nécessité d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger.
Je voudrais commencer par dire que le Gouvernement du Mali est surpris que le rapport relève que les Mouvements signataires ont dénoncé l’enrôlement de 2000 nouveaux éléments devant être déployés dans les régions du nord dans le cadre du recrutement spécial. Le Gouvernement n’a reçu aucune plainte d’un quelconque groupe dans ce sens.
Toutefois, je voudrais rassurer que le recrutement spécial initié par l’État-major général vise les éléments des groupes d’auto-défense ainsi que la récupération des armes. L’objectif final est la réduction de la violence dans leurs localités de stationnement. En aucune manière, ce recrutement ne saurait interférer avec le processus de Désarmement, Démobilisation et réintégration/réinsertion de l’Accord (DDR), qui concerne les combattants des mouvements signataires de l’Accord, déjà enregistrés dans la base de données de la Commission nationale DDR.
Le Gouvernement du Mali tient à préciser qu’il reste pleinement engagé dans la mise en œuvre diligente et intelligente de l’Accord pour la paix et la réconciliation. A cet égard, il rappelle que de sa signature à nos jours, la mise en œuvre de l’Accord a connu des avancées notoires qui ont été accomplies, notamment, sur le plan politique, sécuritaire, du développement et de la justice et de la réconciliation.
Les recommandations des Assises nationales de la refondation de décembre 2021 participent de l’engagement du Gouvernement dans la mise en œuvre de l’Accord, notamment celles relatives à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, pour instituer, entre autres, le Sénat, et l’accélération du processus de décentralisation et de déconcentration de l’Etat. Je n’oublie pas ici les progrès réalisés dans le processus de DDR, tout comme dans la participation de plus en plus significative des femmes au processus de paix, y compris au niveau du Comité de Suivi de l’Accord.
C’est le lieu pour moi de saluer encore une fois le rôle actif de l’Algérie et l’accompagnement de l’équipe de médiation internationale.
Monsieur le Président ;
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité ;
Sur la situation sécuritaire, le Gouvernement indique qu’avec la montée en puissance des forces armées maliennes (FAMa), des résultats probants ont été enregistrés sur le terrain notamment : la neutralisation d’importants membres de Katibats terroristes, la récupération des matériels, la libération des localités du joug des terroristes, la destruction des sanctuaires terroristes et le retour de populations déplacées.
A la faveur de cette montée en puissance des forces armées nationales, les populations maliennes ont également constaté, pour s’en réjouir, une nette amélioration, depuis décembre 2021, de la situation politique, sécuritaire, humanitaire, de même qu’une diminution significative des violences intercommunautaires dans le centre.
Le Gouvernement tient à rassurer qu’avec leur montée en puissance, les forces armées maliennes sont à mesure de prendre en compte les changements de la situation sécuritaire. Les dispositions sont prises afin qu’il ne se crée un vide sécuritaire à la suite du départ des forces françaises et de la Task- force Takuba. Le Gouvernement du Mali est conscient que la sécurité de la Mission est de la responsabilité du pays hôte, qui mettra tout en œuvre pour assumer cette responsabilité. Afin de faciliter cette phase transitoire, nous invitons la MINUSMA à achever son plan d’adaptation en collaboration avec le Mali.
Concernant le renouvellement du mandat de la MINUSMA, je voudrais vous faire part ici de la position du Mali et de ses préoccupations et attentes pour leur prise en compte par le Conseil de Sécurité.
Tout d’abord, je tiens à préciser que pour le Gouvernement du Mali, il est essentiel que le mandat soit centré sur la protection des populations civiles et l’appui au rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble de son territoire.
Dans cette perspective, il est indispensable de mieux définir et articuler la notion de protection des civils dans un contexte de guerre asymétrique. Il y a lieu de clarifier contre qui on veut protéger les populations, sachant que la menace principale provient des groupes armés terroristes. Comment la MINUSMA peut-elle protéger les populations si elle n’est en mesure de faire face à la menace?
Dans ce contexte, le mandat de la MINUSMA doit obligatoirement prendre en compte la montée en puissance des forces de défense et de sécurité du Mali, qui sont désormais en première ligne face aux groupes terroristes.
De même, dans le cadre du renouvellement sus-évoqué du mandat de la MINUSMA et la demande d’appui aérien de Barkhane, le Gouvernement du Mali exprime son opposition ferme à l’intervention sur son territoire de la force française Barkhane, après la décision unilatérale de retrait de ladite force et la dénonciation par le Mali des Accords de défense avec la France. Nous en appelons au respect de la souveraineté du Mali et des décisions prises par les autorités maliennes à cet égard.
Ensuite, le Gouvernement du Mali souligne la nécessité d’une meilleure coordination des actions de la MINUSMA avec l’Etat malien de manière à assurer une pleine efficacité dans l’accomplissement de son futur mandat. Le Gouvernement du Mali souligne également la nécessité pour la MINUSMA de travailler étroitement et véritablement avec les autorités et les parties prenantes maliennes pour aider le Mali à protéger ses populations civiles et à restaurer son autorité sur l’ensemble de son territoire.
Sur les allégations de restrictions imposées à la MINUSMA, il est à préciser que le Gouvernement malien n’a pris aucune mesure restrictive visant particulièrement la MINUSMA. La mise en place de mesures de restriction temporaire sur une partie de l’espace aérien national, qui est une décision souveraine, vise un double objectif. Il s’agit d’abord de protéger les forces maliennes engagées dans une nouvelle posture dynamique et offensive pour reprendre l’initiative et réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes sur les populations maliennes. Le succès de cette dynamique repose sur la liberté de manœuvre des forces nationales. Le deuxième objectif est de maîtriser les risques pour le trafic aérien, liés à l’utilisation intensive de la troisième dimension par les forces maliennes, notamment avec des vols d’aéronefs militaires, y compris sans pilote, et des tirs d’artillerie fréquents. En effet, la sécurité et la sûreté des usagers de l’espace aérien malien constituent une responsabilité régalienne de l’Etat. Il est donc nécessaire que des mesures de coordination soient mises en place pour éviter tout incident malheureux. Il est à noter que tous les vols demandés par la MINUSMA sont autorisés dès lors que la coordination nécessaire est faite, que les risques à la circulation aérienne sont maîtrisés, et que cela n’interfère pas de manière négative avec les opérations militaires en cours.
Relativement à la question du retour à l’ordre constitutionnel au Mali, évoquée par le Secrétaire général dans son rapport et par plusieurs membres du Conseil de sécurité, je voudrais rappeler l’attachement du peuple malien à la démocratie. Le décret n°2022-0335/PT-RM du 07 juin 2022 fixe la durée de la transition à 24 mois, à partir du 26 mars 2022. De même, le décret n°2022-0342/PT-RM du 10 juin 2022 a créé, auprès du Président de la Transition, une Commission de rédaction d’un avant-projet de constitution de la République du Mali, dans le cadre de la Refondation. Il s’agit de la manifestation de l’engagement des autorités nationales pour le retour à l’ordre constitutionnel. Dans les tout prochains jours, une nouvelle loi électorale sera adoptée par le Conseil National de Transition et le Gouvernement procédera à la publication du chronogramme de la Transition.
De même, dans le cadre de la poursuite du dialogue avec la CEDEAO, un mécanisme de suivi sera mis en place en concertation avec le Comité local de suivi de la Transition, comprenant les Nations Unies et l’Union Africaine. De ce fait, le Gouvernement du Mali fonde l’espoir d’une levée très prochaine des sanctions qui frappent injustement les populations maliennes et qui affectent l’économie du pays. A cet égard, mon Gouvernement exprime sa profonde reconnaissance à toutes les personnalités qui œuvrent inlassablement à l’atteinte de ce résultat, notamment le Président de la République Togolaise, Son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé et le Médiateur de la CEDEAO, Monsieur Goodluck Jonathan.
Monsieur le Président ;
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité ;
Le Secrétaire général et plusieurs membres du Conseil se sont préoccupés de la situation des droits de l’homme au Mali. Je tiens à souligner que le Gouvernement reste très attaché à respecter et à faire respecter les droits de l’homme, aussi bien pour les forces nationales qu’internationales.
Je tiens également à redire qu’il n’y a aucune volonté délibérée des autorités maliennes d’accorder des primes à l’impunité, s’agissant des cas avérés de violations des droits de l’homme. Ainsi, la justice malienne est systématiquement saisie chaque fois que des cas de violations des droits de l’homme sont signalés, y compris lorsque ces allégations sont portées contre les Forces de défense et de sécurité maliennes. C’est dire l’engagement du Gouvernement du Mali, malgré les nombreux défis, à ne ménager aucun effort pour lutter contre l’impunité.
Toutefois, le Gouvernement du Mali voudrait appeler l’attention du Conseil sur les risques de politisation et d’instrumentalisation des droits de l’homme aux fins d’agendas cachés et sur la multiplicité des mécanismes des droits de l’homme et leurs poids croissant sur le fonctionnement de l’Administration malienne, dont les cadres doivent répondre à leurs sollicitations nombreuses, simultanées et souvent pas coordonnées, au moment où les populations ont le plus besoin de leurs services.
Le Gouvernement du Mali tient à rappeler que l’amélioration de la situation des droits de l’homme est étroitement liée au progrès sur le plan sécuritaire, ainsi que le retour des représentants de l’Etat et des services sociaux de base au profit des populations. Et c’est pour réaliser ces objectifs majeurs que le Mali a fait appel à l’appui de la communauté internationale.
Pour clore ce chapitre des droits de l’homme, je tiens à rappeler que le Gouvernement du Mali a rejeté certaines allégations de violation et d’atteinte aux droits de l’homme attribuées aux Forces de défense et de sécurité maliennes, dans la dernière note trimestrielle de la MINUSMA. En effet, à l’issue d’enquêtes minutieuses, nous nous sommes rendus que ces allégations sont tendancieuses, non recoupées, rapportées selon des témoignages non contradictoires et ne s’appuyant sur aucune preuve tangible. Je saisis cette occasion pour rejeter totalement la fausse impression que cette note trimestrielle de la MINUSMA donne et selon laquelle les violences exercées par les Forces maliennes ciblent des personnes appartenant à certaines communautés ethniques.
D’évidence, ces allégations ont pour objectif de ternir l’image des Forces armées maliennes et de les discréditer vis-à-vis des populations et de la communauté internationale.
Cependant, le Gouvernement du Mali reste ouvert à tout dialogue constructif avec les organisations de défense des droits de l’homme, y compris la Commission nationale des droits de l’homme, afin de lutter contre l’impunité.
Monsieur le Président,
Sur la dimension régionale, j’ai entendu plusieurs membres du Conseil regretter le retrait du Mali du G5 Sahel, y compris la Force conjointe. Je voudrais leur rappeler qu’il s’agit là d’une décision souveraine du Mali, en réponse aux violations des traités fondateurs de l’Organisation, à la politique de deux poids deux mesures et aux ingérences extérieures hostiles à l’égard d’un Etat membre fondateur. Le retrait du Mali a été formellement notifié aux instances du G5 Sahel. J’invite le Conseil de sécurité à prendre acte de cette décision et à en tirer toutes les conséquences dans la mise en œuvre du mandat de la MINUSMA. De ce fait, le G5 Sahel n’a plus vocation à intervenir sur le territoire malien.
Cependant, le Gouvernement de la République du Mali reste fidèle à son attachement à l’intégration et à la coopération régionales pour la réalisation d’objectifs qui servent les intérêts des peuples africains. A cet égard, le Mali va poursuivre sa coopération bilatérale avec les pays concernés, ainsi que son partenariat sécuritaire régional dans le cadre de mécanismes appropriés, dans un esprit de bon voisinage, d’amitié, de fraternité et de solidarité.
Monsieur le Président ;
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de sécurité ;
Le Gouvernement demeure conscient que la résolution durable de la crise malienne reste la responsabilité principale des Maliennes et des Maliens. La partie malienne reste donc déterminée à jouer toute sa partition pour le retour de la paix et de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, en faisant recours aux leviers politique, sécuritaire, du développement socio-économique, de la justice et de la réconciliation.
Cependant, la réalisation de ces chantiers ambitieux requiert une lecture lucide, pragmatique, réaliste et holistique de la situation mais également la compréhension et l’accompagnement de l’ensemble des partenaires du Mali.
Le peuple et le Gouvernement du Mali réitèrent leur appréciation et leurs remerciements pour l’énorme contribution des Nations Unies aux efforts de stabilisation en cours dans mon pays, à travers notamment la MINUSMA.
Pour conclure, je rends hommage à la mémoire de toutes les victimes de cette crise, civiles comme militaires, étrangères comme maliennes, tombées sur le champ d’honneur au Mali.
Je vous remercie de votre aimable attention.
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