Le Conseil des ministres extraordinaire du mardi 13 mai dernier a adopté un décret portant dissolution des partis politiques et des organisations à caractère politique en République du Mali.
Le même jour, le Président de la Transition a promulgué la loi portant abrogation de la loi portant charte des partis politiques et celle portant statut de l’opposition politique. Pour les acteurs politiques et leurs militants, ces décisions, inédites et prises avec une rapidité surprenante, peuvent ressembler à un séisme. Cela est d’autant plus frappant pour ceux qui ont suivi l’évolution politique du pays sous les régimes successifs du mouvement démocratique et les différentes césures insurrectionnelles.
Mais qu’en est-il du Malien lambda, simple observateur du train socio-politique qui roule depuis le 18 août 2020 ? Est-il réellement affecté par ces bouleversements ? Pas nécessairement. Car attendre des actes strictement conformes aux normes démocratiques dans un contexte de gouvernance exceptionnelle qu’est une transition, relève d’une vision à courte portée.
Rien n’est normal au Mali depuis les événements ayant porté le Général Assimi Goïta et ses frères d’armes du CNSP à la rencontre des mouvements politiques et associatifs regroupés au sein du M5-RFP. Cette rencontre, véritable bascule historique, a eu un impact profond, non seulement sur les acteurs nationaux, mais aussi sur la sous-région et le continent. De cette dynamique est née l’Alliance des États du Sahel (AES), tandis que la CEDEAO s’est rétrécie, le G5 Sahel s’est affaibli, et la Minusma ainsi que plusieurs forces étrangères ont quitté le pays.
Ces bouleversements géopolitiques peuvent-ils se produire sans transformations internes affectant les équilibres politiques, sociaux et économiques ? Assurément non. Nous y sommes plongés, sans trop savoir quand cela prendra fin. Cette accélération du temps politique explique le sort presque « tragique » des partis et associations politiques. Cette évolution n’a d’ailleurs pas été soudaine; des signes avant-coureurs étaient visibles, bien que certains préféraient les ignorer. Le monde change, et le Mali évolue avec lui.
Le véritable marqueur du système transitoire et de la transformation politique actuelle n’est pas tant le 18 août 2020 que le 7 juin 2021, jour de l’investiture du Président Assimi Goïta. Souvenons-nous : debout sur l’estrade d’une salle comble du CICB, revêtu de sa tenue d’officier, le drapeau en bandoulière, face aux juges de la Cour suprême. Ce moment était le signal clair d’une nouvelle configuration politique au Mali. Dans son discours d’investiture, il avait alors déclaré : « Il y a des moments décisifs où se joue le destin d’une Nation. La nôtre, éprouvée depuis des décennies, devra trouver les ressorts nécessaires pour rebondir et assumer pleinement son destin historique. Ceci est notre devoir de génération. »
Mais savons-nous seulement quand prend fin une génération ? Une chose est sûre : Assimi Goïta et ses frères d’armes ont fait de la lutte contre le terrorisme, de la libération des localités sous prise rebelle, et de la reconstruction militaire de leurs axes majeurs de gouvernance.
Faut-il être une stratégie militaire pour comprendre que l’outil d’évaluation de ces objectifs véritables reste la fin ou l’attaque de la menace terroriste et le recouvrement de l’intégrité territoriale ?
Un monde multipolaire prend forme sous nos yeux, porté par de nouvelles puissances qui émergent, souvent renforcées par les erreurs des États en perte d’influence. Comme la chute du mur de Berlin avait engendré un vent démocratique venu de l’Est, ce nouvel ordre mondial entraîne des transformations au cœur des États prêts à en ressentir les secousses.
L’ancienne puissance coloniale reste au centre de notre héritage politique, marqué par la démocratie néolibérale adoptée par la plupart des pays francophones. Mais cet équilibre est désormais bousculé par les conséquences de la guerre terroriste qui fragilise nos États, déjà éprouvées par les ajustements structurels et une gouvernance imparfaite. Cette guerre a ébranlé les fondements mêmes des démocraties africaines, reposant sur des équilibres constitutionnels parfois artificiels.
Les décisions récentes sur la charte des partis politiques et le statut de l’opposition doivent donc être analysées à la lumière de ces transformations géopolitiques et de la dynamique nouvelle qui s’installe avec la Confédération d’États en gestation. La dissolution des partis politiques, conséquence directe de l’abrogation des lois en question, invite à une réflexion approfondie : quel système politique et quel modèle démocratique convient aujourd’hui au Mali ?
L’audit du multipartisme africain et de ses failles a déjà été réalisé par le Sénégalais Babacar Guèye dans la revue « Pouvoirs » (2009/n°129), où il mentionne les succès mais aussi les limites du modèle démocratique. Parmi ces limites, il pointait notamment les atteintes à trois principes fondamentaux de l’État de droit : la séparation des pouvoirs, l’encadrement juridique du pouvoir et le contrôle de constitutionnalité des lois. Ce constat s’est largement vérifié dans l’expérience politique malienne.
Aujourd’hui, les préoccupations des Maliens semblent moins se porter sur le genre des partis que sur la réalité socio-économique : l’état du panier de la ménagère, les difficultés énergétiques, l’accès aux entrants agricoles. C’est sur ces enjeux que le Président et son gouvernement sont attendus.
Le dernier sondage «Malimètre 2025» de la Fondation Friedrich Ebert le confirme : 7 Maliens sur 10 (72%) disent accorder leur confiance à Assimi Goïta.
Le Président de la Transition demeure ainsi l’Alpha et l’Oméga du processus en cours. Son choix d’agir les recommandations des consultations nationales d’avril sur les partis et l’opposition témoigne d’une volonté affirmée de transformation. Chaque phase de la Transition, marquée par des mesures fortes, passe d’abord par une période d’ingestion, puis de digestion, selon le degré de compréhension de chacun sur la marche du Mali actuel.
Alassane Souleymane